Une journée dans ma vie de maman de préma

7h15, entrée fracassante, réveil en fanfare, le petit déjeuner au lit est servi. On sursaute toutes ou presque. On se salue, on se demande comment s’est passée la nuit. On ne se connaissait pas il y a 1 mois, mais on est toutes là, plus proches que jamais. 5 lits dans une chambre d’hôpital, à peine plus d’un mètre entre chacune d’entre nous, on ne parle pas la même langue, on ne remercie pas le même Dieu de ne pas avoir été réveillées cette nuit, mais pendant ces semaines ensemble on se comprend, tout devient claire, on parle le langage de ces mamans angoissées. On sait reconnaître dans les yeux des autres, la tristesse, la difficulté et la peur d’un réveil nocturne, ou la tranquillité d’un réveil paisible.

8ec565_03cdba5b6e5a448baa4f387654206207

7h45, habillée, coiffée (ou presque), le maquillage? Il est resté à la maison quand on est monté dans le camion des pompiers, et puis cacher mes cernes est la dernière de mes préoccupation à cet instant…Ma vie n’est vécue que pour deux enfants qui ne les discernent pas. Le petit déjeuner avalé, on guette le tableau des infirmières, qui va prendre en charge nos enfants, qui va nous prendre en charge, rassurée par un prénom connu, ou un peu angoissée par la découverte d’une nouvelle arrivée dans notre vie…On va saluer nos enfants, demander comment s’est passée la nuit, guetter le poids sur le dossier médical, leur dire qu’on est là, qu’on était pas loin pendant cette nuit, et qu’on ne sera jamais loin d’eux. On se retrouve toutes (ou presque) dans cette salle d’allaitement. Assises plus ou moins confortablement sur ces fauteuils jaunes, les seins préalablement lavés comme si ce geste devenait un acte médical, bien loin de l’acte nourricier et tendre décrit dans ces livres sur la maternité…On se raconte la nuit de nos enfants, on parle de tout et de rien, de l’actualité, des conditions de vie ici, on se raconte Anjouan, Paris, le lagon d’ici et la mer de la bas. On se charrie sur la quantité de lait tiré, cet humour cache une réelle angoisse, celle de pouvoir nourrir complètement ces enfants qu’on aime déjà tellement.

9h…La journée commence pour vous aussi mes petits. On commence chaque journée, chaque soin par le même rituel, qui nous marquera à jamais tous les 4. On soulève votre minuscule bras, pour placer sous votre aisselle ce thermomètre…vous voilà réveillés, sorti de votre sommeil par une main froide, désinfectée au savon, au gel hydro-alcoolique…cette main jadis douce, rendu râpeuse par ses produits agressifs. On espère voir s’afficher un chiffre correct, un signe que vous commencez (ou continuez pour la suite…) à réguler votre température. On change ce capteur de place, on masse votre tout petit talon, on croise les doigts pour que ça ne soit pas le jour de la prise de sang, ou celui de l’EPO, pour qu’on puisse éviter de vous entendre pleurer. On imbibe la compresse de sérum phy, vos yeux sont nettoyés. On nettoie votre nez, sous la surveillance proche de l’infirmière prête à intervenir, à nous guider,  à nous aider à être ce parent soignant dont vous avez besoin. Avec quelques gouttes de bicarbonate de soude, on vous nettoie la bouche. On vous chuchote qu’on est désolée, mais qu’on espère vraiment que vous êtes mieux maintenant. Parfois on vous donne un bain, une toilette à la compresse et à l’eau stérile préalablement chauffée.
Pendant tout ce temps on profite de vous, on vous regarde sous un autre œil…Les oreilles attentives au moindre bip du scope….

198931776-pulse-trace-heart-rate-ecd-computer-monitor

10h…Les deux toilettes sont faites, les cocons remis en place, les bébés confortablement installés. Parfois ça sera l’instant du peau à peau, quand votre santé le permet, parfois on réserve ce moment à l’après midi. C’est souvent le moment, où de nouveau les mamans se croisent dans le couloir, direction la salle d’allaitement. On reste dans la chambre de nos enfants, ou dans la notre, les yeux perdus dans le vague de l’écran de notre téléphone, dans un livre, des papiers administratifs compliqués….

12h30…Le repas est servi. Retour dans notre chambre, la matinée est passée à toute vitesse, et si longuement en même temps. On dirait que le temps s’est arrêté depuis que l’on est ici. On dirait que le monde a arrêté de tourner. On dirait qu’on est arrivé hier, on dirait qu’on est là depuis toujours. On devine les émotions des autres, l’angoisse, la tristesse, l’inquiétude, l’amour. On en parle pas, on avance, on rigole. On parle des oranges du marché qu’on aimerait dévorer plutôt que ses fruits au sirop dans leur ramequin en céramique. On rêve d’ananas, de mangue, et de letchis.
On rêve de sortie, d’évasion, de temps libre…D’insouciance.

22323723

15h…Le temps a filé, un autre tour dans la salle d’allaitement. Le même rituel toutes les 3 heures. Et après une nouvelle prise de température, un autre changement de couche…pour la plupart d’entre nous, le moment tant attendu, le peau à peau. Enfin profiter de ces câlins, ces seuls moments de tendresse, si précieux. Assise confortablement, le bruit de la C-PAP pour unique berceuse, les bruits du scope pour unique réveil, et je somnole. Respirant à votre vitesse. Je me réveille à moitié, je vous chante des chansons, vous raconte des histoires, vous raconte votre histoire. Je vous explique pourquoi il faut vous battre et comme la vie est chouette. Je vous raconte les balades que l’on fera ensemble, la famille qui a hâte de vous faire découvrir, les matchs de foot que papa vous emmènera voir…Je vais vous donner l’envie de vivre !

18h15…Le repas est servi. Les bras engourdis, le dos plein de fourmis je dois demander à une infirmière de vous ré-installer dans votre couveuse. Je vous borde avec elle. Quand je vous entends crier, je vous promets que quand on sera sorti de l’hôpital, on en fera plein de câlins, des grands, des immenses, des sans interruption…
On se retrouve encore toutes les 5, dans cette chambre, devant ces plateaux repas. On a échangé assez de banalités pour la journée. On est fatiguées. Fatiguées d’avoir dû lutter pour remplacer l’angoisse par l’espoir toute la journée. Fatiguées de vivre la même journée, chaque jour que Dieu fait depuis notre arrivée.

21h…La douche est faite. Il est l’heure d’un dernier moment avec vous, le dernier échange de la journée. Un nouveau changement de couche, une nouvelle prise de température, un nouveau croisage des doigts pour que le médecin n’ai pas demandé de bilan sanguin, un nouveau changement de place pour ce capteur, une nouvelle position pour éviter les escarres, de nouveaux draps tout propres comme pour vous souhaiter une bonne nuit. Et enfin le dernier bisous, sur mes mains à votre attention. Une dernière caresse pour vous souhaiter une bonne nuit, vous expliquer que je suis à côté, que je serai toujours à coté. Une nouvelle nuit pour vous demander d’être sages, de ne pas inquiéter l’infirmière qui veille sur vous. Souhaiter une bonne nuit à votre infirmière, lui redire de ne pas hésiter à vous réveiller s’il arrive quelque chose. Souhaiter que personne ne nous réveille.

22h30…Un coup de téléphone à la famille passé, donner des nouvelles, se raccrocher à la réalité, garder un pied à l’extérieur, prendre des nouvelles du monde qui nous entoure, entendre des voix qui nous rassurent, que l’on connaît, nous envoyer des forces pour la journée du lendemain.
Retourner à la salle d’allaitement, une dernière fois avant le réveil de 3h du matin. Le même rituel, encore une fois. Souhaiter une bonne nuit à votre infirmière, lui redire de ne pas hésiter à vous réveiller s’il arrive quelque chose. Souhaiter que personne ne nous réveille.
Retourner dans la chambre sans un bruit, se glisser sous les draps, et s’endormir à peine la tête posée sur l’oreiller.

Pour pouvoir mieux recommencer…

J’ai eu la chance immense que le service dispose d’une chambre pour permettre à 5 mamans de rester sur place pendant le séjour de leurs enfants en réanimation néonatale. J’ai eu la chance d’avoir un de ces précieux lits pendant toute la durée d’hospitalisation de mes enfants.
C’était petit, exigu, sans intimité, mais c’était le grand luxe pour chacune d’entre nous.

 

8ec565_0fe873dd179c483bacb42c3233428e65.jpg_srz_316_209_85_22_0.50_1.20_0.00_jpg_srz

 

10 commentaires sur « Une journée dans ma vie de maman de préma »

  1. Ton texte m’émeut beaucoup… Les larmes coulent ! Je ne l’ai pas vécu mais cela me touche très fort ! Quel chamboulement, à 1000 lieux de ce qu’on imagine lorsqu’on donne naissance à son enfant…
    Des bisous doux à tous les 4 😘

    Aimé par 1 personne

  2. Chaque fois que je te lis je revis ces moments. Parfois l’angoisse, mais aussi le bonheur de s-occuper de tous ces bébés. Non je ne suis pas une de ces mamans mais l’une de ces infirmières qui se trouve privilégiée de pouvoir accompagner vos enfants dans ce démarrage difficile et vous également si forte et si généreuse en émotion. Merci…

    Aimé par 2 personnes

  3. Je ne l’ai vécu que 15j et dans une proportion moindre… je suis touchée, bouleversée par ce que je lis. La prématurité reste une blessure profonde, des moments suspendus entre espoir et angoisse, tu le décris si bien… ca me donne envie de te serrer fort dans mes bras 😢

    Aimé par 2 personnes

  4. J’ai eu de la chance d’accoucher de les filles à 36sa malgré une MAP à 29sa. Je me rends compte que nous avons échappé à beaucoup d’angoisse…. que d’amour en tout cas dans votre histoire et ca c’est le plus important ❤️

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire